Ryan O’Neal - explique le cinéaste - joue un personnage ambigu, pour lequel on éprouve un sentiment d’attraction-répulsion mêlé à tous les instants : « comment ne pas avoir de sympathie pour Barry ? Mais comment ne pas être conscient de ses faiblesses, comment ne pas voir les impasses où le mènent ses ambitions et les limites de sa personnalité (qui viennent du développement de son cynisme) ? »
Cette ambiguïté, cette déchéance morales ne sont-elles pas liées aussi aux circonstances, aux aléas de sa trajectoire personnelle ? Le monde selon Kubrick est en guerre permanente et l’ascension sociale, surtout pour un jeune homme pauvre à cette époque, un éternel combat. Le film à cet égard montre à la fois le contexte historique et ce qui aurait pu (dû ?) être un épanouissement personnel avec son mariage : or, là aussi, c’est la guerre, dans le champ clos de la vie conjugale - et la pire déchéance. « L’état de guerre n’est pas l’image la plus inexacte que l’on puisse donner de la vie de la plupart des gens : combien y a-t-il de mariages heureux ? Combien de beaux-pères aiment leurs beaux-fils et réciproquement ? Parmi les gens dont l’ambition ne touchait qu’à l’argent, combien l’ont réalisée ? Surtout pas Barry, chez qui elle paralyse toute activité ! Tant qu’il se débat à travers le monde, il lui arrive des choses qui ne lui plaisent pas, mais au moins il a une vie active. Dès son mariage et le début de ses ambitions, tout devient gris et morne. Il est totalement déplacé dans cette vie, non seulement par son origine sociale, mais aussi par son caractère. Il s’enferme lui-même dans une cage dorée et, désormais, tout a le goût de l’amertume ».
Claude Sabatier
D’après l’entretien, en 1976, de Michel Ciment, critique de cinéma à Positif, avec le cinéaste dans son livre Stanley Kubrick, préfacé par M. Scorsese, chez Calmann-Lévy (pp. 166-179)