LES CRAMÉS DE LA BOBINE

Wadjda

mercredi 27 février 2013 par Claude

Wadjda, film saoudien d’Haifaa Al-Mansour, recèle la fraîcheur des premières œuvres, à l’image de son héroïne, la jeune Wadjda, âgée de onze ans, dont l’amitié avec le petit voisin Abdallah et la quête effrénée d’un vélo - refusé par moralisme et intégrisme, soi-disant pour protéger la virginité des demoiselles - mettent en lumière le fanatisme tatillon des écoles coraniques et le quotidien mortifère de la femme musulmane, bien plus sûrement et légèrement qu’une violente diatribe ou une démonstration didactique. Charme indicible du récit d’enfance, la ( fausse ?) naïveté de la gamine joue le rôle du dépaysement fictif, masque de l’ironie voltairienne ou de la critique socio-politique dans les "Lettres persanes " de Montesquieu : en témoigne cette scène de remise du premier prix de récitation coranique, où Wadjda se paie le luxe, lorsqu’on lui demande ce qu’elle va faire de la somme gagnée, de déclarer benoîtement (ou malicieusement ?) qu’elle compte bien s’acheter un...vélo.

La salle rit, pour le moins gênée ; la directrice de l’école, qui pouvait la croire enfin gagnée à la religion, la foudroie du regard, lui retirant aussitôt le prix qui sera dévolu aux bonnes œuvres. Tel le philosophe des Lumières jouant avec la censure, la pré-ado semble à la fois naïvement spontanée, exprimant une pure parole d’enfant, et fort consciente des prohibitions, désireuse surtout de les bousculer. Suprême ironie surtout - la fillette feint d’adhérer à la religion la plus officielle, au credo du Coran sagement appris et mélodieusement psalmodié, pour mieux se procurer l’objet qui défie symboliquement et le dogme et le pouvoir religieux : la bicyclette rêvée, instrument de liberté et de dérision, objet cinématographique par excellence depuis " Le Voleur de bicyclette " de Vittorio de Sica ou le récent " Gamin au vélo " des frères Dardenne.

Comme dans le terrible " Le Noir te (vous) va si bien ", les interdits parcourent le film et apparaissent pour ce qu’ils sont : moins les signes obligés d’un rituel que les médiocres entraves à la liberté de vivre simplement et d’exister, c’est-à-dire, étymologiquement, de se projeter au-dehors et d’oser se montrer, comme le fera finalement la jeune fille sur le vélo finalement acheté par sa mère, fière de sa revendication féministe en pleine distribution des récompenses et solidaire, en première femme délaissée pour le nouveau mariage de son époux, de sa fille si crâne, si farouche déjà... Les lycéennes doivent se cacher pour se teindre les ongles, se dessiner des étoiles sur la peau ou échapper au simple regard d’ouvriers travaillant sur une terrasse voisine, comme si le vrai problème n’était pas la concupiscence des hommes et qu’elles dussent payer en somme pour l’incapacité des autres à dominer leurs désirs.

Seule contre tous comme dans " Rengaine " - si ce n’est cette complicité féminine avec sa mère qui éclatera dans la superbe scène finale de souffrance partagée et de don du vélo, flambeau d’une révolte non assumée mais transmise, Wadjda irradie de joie et de malice. Au milieu de cette triste banlieue, de ces immeubles délabrés ou en construction, elle incarne une vie solaire et têtue : elle écoute du rock et court en baskets ; elle introduit partout et toujours une dissonance au sein de ces bataillons scolaires de la mort lente qui se serrent pour mieux éviter l’intrusion du Malin.

Mais qu’ils ouvrent enfin les yeux : le malin, en jupons et nattes rebelles, est déjà parmi nous !

Claude


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